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Le livre que devrait lire Najat Vallaud-Belkacem

6 Janvier 2015 , Rédigé par Eugénie Bastié (Le Figaro) Publié dans #Genre

Le livre que devrait lire Najat Vallaud-Belkacem

Je souhaite vous faire part d'un article d'Eugénie Bastié paru sur le site du Figaro en date du 26 Novembre 2014:

La ministre de l’Éducation, qui avait affirmé que "la théorie du genre n'existait pas", vient d'annoncer en Novembre dernier son plan d'action pour l'égalité entre filles et garçons.

"La «théorie du genre», ça n'existe pas! C'est comme le monstre du Loch Ness, tout le monde en parle, mais personne ne l'a vu !", déclarait Najat Vallaud Belkacem dans une interview au Point en juin 2013.

Eugénie Bastié lui conseille de lire La théorie du genre ou le monde révé des anges, de Bérénice Levet, qui a enquêté sur cette thèse controversée. Bérénice Levet est docteur en philosophie, professeur à Polytechnique et au Centre Sèvres. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment ”le Musée imaginaire” d’ Anna Arendt( Stock 2011), philosophe à laquelle elle se réfère souvent. Elle collabore également à plusieurs revues: notamment le Débat, et la Revue des Deux mondes. Voici l'article d'Eugénie Bastié sur ce livre.

"Circulez y a rien à voir ! Quiconque relaye cette "rumeur" ou cette "prétendue théorie du genre" (comme l'écrit l'AFP) est taxé immédiatement d'obscurantiste, d'ufologue ou pire, de crypto-soralien.

Les "experts" de la question, renvoient les "braves gens" à leurs hallucinations, se croyant suprêmement malins de faire la distinction entre d'une part les "gender studies" champ universitaire absolument objectif décrivant la part de constructions sociales dans l'altérité homme-femme, et d'autre part une "théorie du genre" fantasmée par les catholiques intégristes.

Bérenice Levet ne tombe pas dans le panneau et assume le vocable tabou. Son livre La théorie du genre ou le monde rêvé des anges est un véritable ABCD du genre, et probablement ce qu'on a écrit de plus complet sur la question.

Dans cet essai de 200 pages, cette docteur en philosophie remonte patiemment, avec érudition et pédagogie, le fil de cette idéologie, du fameux "On ne nait pas femme, on le devient" de Simone de Beauvoir, aux écrits de Judith Butler, papesse américaine du gender, en passant par les expériences du docteur John Money.

John Money, vous connaissez? Les partisans du genre n'aiment pas trop qu'on évoque ce cas douloureux. C'est pourtant par lui que tout commence. En 1955, il invente la notion de gender. Il travaille alors sur les enfants hermaphrodites, auxquels il attribue arbitrairement un sexe, d'abord "culturellement", puis chirurgicalement. Le pauvre Bruce (David) Reimer en fit les frais: le pénis mutilé par une circoncision ratée.

Le Dr Money ordonne à ses parents qu'on l'éduque dès lors comme une fillette, rebaptisé Brenda. Mais à la puberté, quand vient le temps de l'opération chirurgicale censée donner à l'enfant le vagin conforme à sa nouvelle identité, Brenda se rebiffe, et reprend le nom de Bruce, en même temps qu'il (elle?) tente de retrouver son identité masculine.

"Troublé" dans son genre (comme aime à dire Judith Butler, pour qui c'est le summum de la liberté), Bruce finira par se suicider en 2002.

Triste épilogue d'une réactualisation du mythe de Prométhée.

Etre ou ne pas naître, telle est la question. Comme dans le mythe grec, il y a, au cœur du genre, une tentation démiurgique, un refus des limites, "une méconnaissance et un mépris fondamental de la condition humaine". L'homme est vide, creux, il est une page blanche où il écrit sa vie. Sexe, genre, orientation sexuelle: les combinaisons sont infinies, les possibilités sans limites.

Ni nature, ni culture, tout est affaire de volonté. Androgyne, transsexuel, bi-genre, hermaphrodite, mâle ou femelle: sur Facebook, je peux cliquer sur plus de 56 identités sexuelles pour me définir.

Laure, la petite fille du film Tomboy ira jusqu'au bout de la "possibilité Michael", le prénom qu'elle prend lorsqu'elle se déguise en garçon.

«Pop», l'enfant suédois élevé dans la «neutralité» par ses parents, sera invité à "choisir" son sexe quand il sera grand. Ou pas. Il fera comme il voudra.

Comme dans le mythe grec de Promethée, il y a, au cœur du genre, une tentation démiurgique, un refus des limites, "une méconnaissance et un mépris fondamental de la condition humaine".

Rien de bien nouveau. Pic de la Mirandole écrivait déjà en 1487 le paradigme des temps nouveaux: "Je ne t'ai donné ni place déterminée, ni visage propre, ni don particulier, ô Adam, afin que ta place, ton visage et tes dons, tu les veuilles".

La théorie du genre n'est que la radicalisation ultime du présupposé moderne de l'indétermination.

Le genre des anges. Mais en outre, dans la théorie du genre, il existe une haine profonde de l'incarnation. Du corps, en tant que donné irréductible avec lequel il faut "faire avec". La tentation d'une abstraction suprême, pareille au "hen", ce pronom neutre inventé en Suède pour désigner un troisième genre, et que les petits enfants ont bien du mal à dessiner dans les crèches, entre la barbe de papa et la robe de maman.

"Le monde rêvé des anges": le sous-titre du livre de Bérenice Levet prend tout son sens. Derrière l' "utopie queer" (comme l'évoquait rêveusement l'un des deux auteurs de La fabrique des garçons dans une interview aux Inrocks), la menace d'une ingénierie sociale potentiellement totalitaire. Car "qui veut faire l'ange, fait la bête": les garçons ne se mettent pas spontanément à jouer aux poupées ni les filles à devenir pompiers. Il faut détruire. Il faut inculquer, à coup d'ABCD et de propagande, la déconstruction.

L'originalité de la théorie du genre est bien là: passer de l'historicité de la différence des sexes, à sa caducité. Passer du "c'est construit" au "il faut déconstruire". Passer de la mise en évidence de rapports sociaux codifiés à leur atomisation planifiée.

De la littérature à l'idéologie. De Balzac à Butler.

L'exception française de la mixité des sexes

Mais attention. Pour l'auteur, il n'est pas question de "céder à la tentation symétrique, à la captation de l'identité sexuelle par la nature". S'il reste toujours l'irréductible dualité de l'entrejambe, sur laquelle viennent se fracasser toutes les idéologies, cet invariant fondamental et universel de l'humanité est chanté sur toutes les latitudes de manière différente. La différence des sexes est "un accord premier qui suggère des variations multiples".

En France, cette variation a une mélodie particulière, le charme suranné d'une harmonie lissée par des siècles de "civilisation".

Judith Butler elle même, raille dans ses écrits le retard de notre pays par rapport à la Suède, la Norvège ou les Etats-Unis, en la matière. La France, ce pays arriéré où le genre fait descendre des milliers de personnes dans la rue.

On touche là au cœur de la thèse de Bérénice Levet : elle combat la théorie du genre d'abord et avant tout parce qu'elle y voit une "aspiration à en finir avec une culture", celle de "l'exception française" en matière de mixité des sexes, menacée par la pénétration du mythe de l'indifférenciation aux plus hauts sommets de l'Etat.

Fille du pays des liaisons dangereuses et de l'amour courtois, l'auteur lance un cri d'amour et d'alarme, en défense d'une nation "historiquement attachée à la polarité du masculin et du féminin".

"Voyez couler nos pleurs sans y mêler vos larmes/ Gardez votre constance, et souffrez nos soupirs" dit la très stéréotypée Sabine au vieil Horace.

Laisserons-nous Najat interdire Corneille ? La "triste querelle" du genre est une querelle de civilisation".

Eugénie Bastié

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